LA DERNIERE ERUPTION DU VESUVE en 1944.
Lors de l’une de mes premières sorties géologiques, j’ai eu la chance de rencontrer Charles BOYER – minéralogiste spécialisé en volcanologie - que je n’ai jamais oublié : calme, souriant, disponible … Lorsque j’avais du mal à repérer un fossile, du bout de sa canne de randonneur – sans dire un mot – il me désignait un point précis et, chaque fois, c’était une découverte.
Nous nous sommes souvent rencontrés et j’étais toujours impressionné de voir un témoin vivant de la dernière éruption du Vésuve.
C’est avec son aimable autorisation que nous pouvons vous faire profiter du récit de cet événement auquel il a eu la chance d’assister et qu’il a relaté.
Jacques SINTES.
Photo J. Sintès
Photo de collection de M. Lemee - T&V - Alençon
Elle remonte à 60 ans, c’était en 1944.
Depuis Caivano, à environ 15 km au nord du Vésuve, j’ai vécu cette éruption du volcan en mars 1944.
Je m’y trouvais en convalescence, après une blessure reçue dans la neige du Belvédère, sur le front d’Italie, à l’est de Cassino, tenu par le Corps Expéditionnaire Français du Maréchal Alphonse Juin.
D’ordinaire le Vésuve fumait paisiblement, son panache blanc s’envolait vers l’est, au gré du vent. Or, depuis le début du mois de mars, de sourds grondements couraient sur les flancs du volcan et des émanations sulfureuses de plus en plus désagréables coulaient sur ses pentes en direction des habitations.
Les sismographes des volcanologues de l’observatoire vésuvien enregistraient les ondes harmoniques de la montée du magma.
Le 11 mars, le petit cône central s’écroula dans la cheminée vide. Il y eu des explosions, des effondrements, si bien que le 17 mars, l’activité cessa complètement.
Le 18 mars à 16 heures, la cheminée s’ouvrit à la suite de très violentes explosions suivies de coulées de lave.
Les laves basaltiques très liquides remplirent le cratère et, pendant trois jours, débordèrent par-dessus les lèvres du volcan en de nombreuses coulées.
Un énorme panache de fumée en forme de parasol recouvre désormais tout le Vésuve et sa région.
Photo J. Sintès
Le volcan crache vers le ciel un jet continu de cendres et de fragments de lave rougissant d’une lueur sinistre, impressionnante.
A midi, la visibilité est très faible, les voitures roulent avec leur lumière ; c’est un crépuscule permanent. Heureusement pour Naples, le vent souffle d’ouest en est et emporte les cendres et les lapilli à l’opposé, vers l’Adriatique.
Le panache s’élève en permanence à plus de 5000 mètres. Plus on s’éloigne du volcan, plus la pluie de projectiles (éjecta) devient fine jusqu’à n’être plus que des cendres très légères qu’on retrouvera jusqu’en Albanie, à environ 500 km de là.
La nuit, sur les flancs de la montagne, descendent des ruisseaux de sang du basalte à 1100 degrés, beaucoup plus visibles que le jour.
Le 21 mars, la petite ville de Saint-Sébastien-du-Vésuve et les villages de Massa et Trucchia sont totalement détruits par les coulées de lave. La grande coulée descendit dans la vallée de la Somma à une vitesse de 100 mètres à l’heure, en passant tout près de l’observatoire.
Une autre détruisit le funiculaire et passa par-dessus les rails de l’ancien chemin de fer à crémaillère, une autre encore se dirigea vers le sud.
La première phase, éruptive, commencée le 18, prit fin le 21 mars à 17 heures.
La seconde phase dite des « fontaines de lave » selon l’appellation des volcanologues, était caractérisée par des projections violentes, réitérées à partir de la colonne ignée qui jaillissait à plus de 1000 m de hauteur. Elle dura du 21 mars à 17 h jusqu’au 22 mars à 12 h, toujours à travers et sous le parasol des nuées.
La nuit, l’effet était particulièrement spectaculaire avec les énormes lambeaux de lave rouge tournoyant dans les nuages de fumée grise, puis s’abattant comme des fusées. Sous l’action du vent, des projections se trouvaient entraînées vers l’est dans la zone d’Andri et de Pagani, à plus de 15 km de l’axe éruptif.
La troisième phase, dite des « explosions mixtes », commença le 22 mars à midi sans aucun répit.
Les jets se composaient de projections sombres et incandescentes avec une prédominance de plus en plus importante des cendres. Les larges volutes nuageuses s’élevaient toujours à plus de 5000 m, puis elles étaient poussées par les vents vers le levant. Ce sont surtout ces retombées qui recouvrirent toutes les campagnes d’une couche épaisse.
La quatrième et dernière phase, dite « sismo-explosive », se déroula à partir du 23 mars à 14 heures jusqu’au 29 mars. Elle comportait des répétitions intermittentes de crises sismiques et de crises explosives d’intensité décroissante.
Finalement, le 9 avril 1944, une obstruction importante arrêta l’activité de la bouche éruptive. Ce fut le prélude à une mise en repos qui dure encore de nos jours.
Quels furent les dégâts d’une telle éruption du Vésuve ?
Selon des informations locales, un avion américain qui se serait trop approché du panache, aurait été abattu par des projections laviques. De même la petite base aérienne de chasse qui se trouvait à l’est du Vésuve aurait souffert de la destruction d’une quinzaine d’appareils au sol.
...«Une pluie de cendres a recouvert plusieurs jeeps qui se trouvaient stockées au pied du volcan.
On raconte que lorsqu’on a parlé de les dégager, les Américains ont déclaré : "inutile". Laissons-les pour permettre aux archéologues, qui feront des fouilles dans quelques centaines d’années, d’avoir la joie de les découvrir et de s’extasier devant les «cars» étranges et grossiers qu’employaient les armées du XXème siècle !
…L’éruption a causé une perte plus sérieuse : sur un terrain installé au pied du Vésuve, trente et un avions ont été criblés par des projections de lave solidifiée et mis complètement hors d’usage." ... … d’après «Cap sur la Provence» de l’Amiral Lemonnier (1954).
Les cultures - en particulier les arbres fruitiers - ont été détruits par les chutes de lapilli, surtout par brûlure, dans toute la plaine jusqu’à Nocera.
Quant au Vésuve, il a été complétement transformé ; il présente désormais une circonférence de 1500 m, un diamètre de 600 m, avec une profondeur de 300 m après l’éruption. Son altitude est passée de 1186 m à 1276 m.
Photo collection M. Lemee - T & V - Alençon
Depuis lors, par comblement, suite aux éboulements internes, le fond du cratère n’accuse plus qu’une profondeur de 200 m. Il subsiste encore quelques légères fumeroles sur le flancs internes.
Lorsqu’on regarde vers le nord depuis le bord accessible du cratère, on aperçoit nettement la grande couche passive de basalte gris sombre surmontant le rebord.
Autour du volcan, les coulées de 1944 demeurent bien visibles, grâce à leur couleur grise presque argent, dans la vallée de la Somma et sur les flancs du Vésuve, notamment celle qui est coupée par la route, car elles ne sont pas encore recouvertes par la végétation.
Au point de vue minéralogie, je dirai qu’il suffit de se baisser tout au long du chemin qui monte au cratère, pour récolter cristaux noirs d’augite parfaitement cristallisés atteignant facilement 2 à 3 cm. Le basalte contient de l’olivine verte, de la leucite blanche. Enfin, la Somma a donné de superbes cristaux de vésuvianite qui ressemblent beaucoup aux grenats à première vue.
Pour agrémenter votre ascension, je vous conseille un bon lacrima-cristi blanc cultivé sur les flancs mêmes du Vésuve, mais à ne déguster qu’à son sommet, pour récompenser vos efforts, en admirant le plus paysage de l’Italie : la baie de Naples.
Charles BOYER.
Société Amicale des Géologues Amateurs.
Bibliographie :
-«Vesuvio, un volcan et son histoire» par Elio Abatino.
-«Vésuvio 1944 , l’ultima éruzione » par Angélo Pesce et Guiseppe Rozandi.
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