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Texte et photos de Patrice Visieloff, Vice-Président et cofondateur de TERRE ET VOLCANS.
Voir sur le "lien" son article sur les "Ocres de Provence".
Les Séracs du glacier de Tour (Mont-Blanc)
L’HISTOIRE DES GLACIERS ALPINS
Le Mont Blanc.
Tout le monde a vu les photographies anciennes du glacier des Bossons ou de la Mer de Glace dont les langues terminales s'étalaient dans la vallée de Chamonix.
La situation des glaciers de montagne sur toute la planète est identique, un net recul avec une diminution notable des volumes et des surfaces englacées.
Il nous a semblé donc intéressant, devant l'actualité scientifique dominante sur le réchauffement climatique, de faire un point sur la vie et la mort des glaciers de montagne dits glaciers alpins.
Il y a glaciers et glaciers
Le glacier de Nant Blanc dans le massif de l'Aiguille Verte.
La typologie des glaciers repose sur des critères physiques, géographiques et dynamiques. C'est ainsi que les géographes distinguent des glaciers régionaux et des glaciers locaux.
Les glaciers régionaux concernent les immenses étendues de glace des inlandsis* antarctiques (13,5 millions de km2 ) et arctiques ( Groenland, 1,7 million de km2 ). Ces glaciers sont localisés sur des hautes latitudes, ils ont des épaisseurs de plusieurs milliers de mètres.
Ces deux inlandsis de glace représentent 99% du volume de glace du globe et 98% du volume d'eau douce du monde. Attention, la banquise des mers arctiques est constituée d'eau de mer, elle n'est pas considérée comme étant un glacier.
Les glaciers locaux se forment sur des reliefs ou sous des latitudes qui permettent des conditions climatiques favorables à leur croissance. Les géographes distinguent, là aussi, différents types :
Les glaciers de plateaux, identiques à des petits inlandsis, coiffant des surfaces de montagnes élevées, dans les Alpes scandinaves, les reliefs des hautes montagnes tropicales, des Andes (volcans andins) et de l'Afrique de l'est (Kilimandjaro, Monts du Rüwenzori…).
Les glaciers de vallée, dits glaciers de type alpin ; ils ne sont pas localisés que dans les Alpes et leurs caractéristiques morphologiques sont identiques aussi bien dans le Haut Himalaya, qu’en Alaska.
Anatomie d'un glacier de type alpin
Un glacier alpin comprend à l'amont, un organe collecteur, correspondant à l'aire d'alimentation en neige (névé) là ou se forme la glace, c'est la zone d'accumulation.
Cette zone est souvent localisée dans un cirque montagneux, la glace y est séparée des parois rocheuses par de profondes crevasses appelées rimayes.
Plus bas, la langue de glace qui constitue l'organe diffuseur s'allonge du cirque vers la vallée qu'elle remplit en épaisseur. C'est la zone d'ablation où la glace ne se forme plus.
Le passage entre la zone d'accumulation et la zone d'ablation marque la ligne d'équilibre du glacier.
De nombreuses crevasses lacèrent profondément la langue du glacier.
Ces crevasses sont favorisées par la pente du glacier, le profil de son substrat rocheux et son avancement, elles sectionnent le fleuve de glace en un damier de blocs : les séracs.
Un glacier se comporte comme un fluide qui charrie, outre sa propre glace, tous les éléments solides qu'il rencontre dans son environnement.
Des sables, des blocs et des rochers, éboulés ou arrachés au substrat par le frottement de la glace, sont transportés à l'intérieur ou sur le dos du glacier.
Ils sont poussés et traînés par le “fleuve” et s'accumulent en monticules appelés moraines.
Selon la position de celles-ci, sur les côtés, le front, sous le glacier ou dans son axe, on parlera de moraines latérales, moraines frontales, moraines de fond et moraines médianes.
Le glacier fond, de l'eau de fonte se rassemble en torrents à sa surface, creusant des bédières (sorte de chenaux) qui aboutissent à des moulins (puits) lui permettant de rejoindre des torrents sous-glaciaires. Un réseau hydrographique se crée ainsi dans le glacier, les eaux sourdent à sa langue terminale par un torrent émissaire .
Ainsi naissent les grands fleuves de la planète comme le Rhône, l'Amazone, le Nil, le Gange…
De la neige à la glace
Dans l'aire d'alimentation, les chutes de neige s'accumulent. Par tassement, par modification des cristaux de neige et soudure entre eux, la glace se forme. Les alternances de gels et de dégels saisonniers et journaliers favorisent les phénomènes de fusion et de regels qui contribuent à la formation de glace.
Le mouvement des glaciers
La mer de glace.
L'écoulement des glaciers est mesurable à l'échelle humaine et annuelle. Un glacier transporte la glace formée dans le cirque à l'amont, vers l'aval. Ce mouvement variable existe autant en période de recul que d'avancée des glaciers.
Il est indépendant des conditions climatiques régionales, mais il peut s'accélérer ou diminuer pour des causes qui sont, elles, liées à la formation de glaces dans l'aire d'accumulation en altitude.
Deux facteurs déterminent la vitesse d'écoulement du glacier : son épaisseur et la pente de son substrat rocheux. Un glacier épais sur pente faible s'écoulera moins vite qu'un glacier mince sur un substrat pentu. Dans les Alpes, les épaisseurs des glaciers sont de l'ordre de quelques centaines de mètres ; leur vitesse varie de manière saisonnière, de quelques dizaines à quelques centaines de mètres par an (la Mer de Glace avance de 1 cm par heure).
Cette vitesse dépend de la présence d'eau liquide facilitant le glissement et aussi du gradient de température de la glace, qui est variable de la surface au substrat rocheux.
L'écoulement glaciaire est comparable à celui d'un fleuve, les vitesses variant de la surface vers le fond et de l'axe vers ses bords.
Parfois l'écoulement des glaces s'accélère intensément lors de crues appelées des surges, les vitesses atteignent alors jusqu'à une dizaine de mètres par jour, ce fut le cas du glacier Susitna en Alaska qui avança de 6000 mètres entre 1941 et 1952.
Le glacier, agent de transport et d'érosion
Glacier blanc dans les Ecrins.
Roches moutonnées et striées par le passage du glacier.
Tout le monde connaît l'histoire de cet avion qui s'était écrasé dans le massif du Mont-Blanc après-guerre. Aujourd'hui, on retrouve régulièrement ses restes transportés par les glaciers.
Un glacier charrie des milliers de tonnes de gravats sur des dizaines de kilomètres qu’il dépose en moraines dans les vallées.
Des blocs erratiques*, transportés par les glaciers alpins lors des périodes glaciaires passées, ont transité des Alpes jusqu'à Lyon (Blocs de la Croix Rousse).
Le rabot glaciaire est un puissant agent d'érosion qui creuse des vallées sur des milliers de mètres de hauteur. En frottant les parois des montagnes, le glacier arrache de la roche et la réduit en une fine poudre blanche appelée la farine glaciaire.
Cette farine est évacuée par les torrents de montagne qui prennent une couleur beige clair très caractéristique.
Du recul des glaciers
Le Puy de Sancy et l'ancienne vallée glaciaire du Mont-Dore.
Les phénomènes de fontes, saisonniers et journaliers, produisent des quantités d'eau importantes. Le glacier peut être protégé de la fusion par une couverture rocheuse suffisante.
Cette couverture protège totalement la glace jusqu'à l'isoler totalement de l'ensoleillement, c'est le cas du glacier Noir dans le massif des Ecrins.
Le mont Pelvoux et ses glaciers suspendus.
Le recul glaciaire est dû à une fonte de glace non compensée en altitude, à la suite d’un déficit de chutes de neige.Ainsi un simple déficit pluviométrique en altitude (neige), peut entraîner un recul du glacier indépendamment d'un réchauffement climatique régional ou planétaire.
Le recul des glaciers montagneux est un fait commun à toute la planète.
Depuis la fin du
" Petit Age de Glace " qui dura de 1550 à 1820, tous les glaciers de montagne du monde reculent. Mais pas tous au même rythme ni depuis la même époque. Ceux des Alpes sont surveillés depuis le milieu des années 50 et ont déjà reculé de 25% en un siècle.
Au cours du 20è siècle, deux périodes de recul ont été mises en évidence. De 1942 à 1953, une forte décrue fut constatée à la suite d'étés chauds et d'hivers peu enneigés.
Depuis 1982 la décrue est encore plus importante, le glacier des Bossons dans le massif du Mont Blanc a reculé de 548 m. Mais entre ces deux périodes (années 60 et 70) les glaciers ont à nouveau grossi (c'est une période de crue glaciaire).
A la suite d'hivers plus humides et d'étés frais, le front du glacier d'Argentière avait progressé vers l'aval de 400 m entre 1970 et 1990.
En Alaska, les relevés topographiques faits par le capitaine Cook en 1776 dans la Baie des Glaciers, ont permis de mesurer la décrue des glaciers et de confirmer que le recul débuta dès la fin du Petit Age Glaciaire en libérant au moins 4000 km2 de glace en 230 ans.
L'empreinte des glaciers disparus
Massif des Ecrins : le torrent St-Pierre est blanchi par farine glaciaire
venant des glaciers noirs et blancs.
Le travail des glaciers fut très important lors des périodes glaciaires, au point de modeler presque toutes nos montagnes. Leurs empreintes, dans les chaînes montagneuses européennes, datent d'il y a seulement 18 000 ans, lors de l'optimum de l’ère glaciaire du Wûrm (maximum du froid lord de la dernière période glaciaire).
Par exemple, les grandes vallées des Alpes, du Cantal, du Massif du Sancy et des Pyrénées ont été dessinées par les glaciers.
La pyramide du Puy Mary dans le Cantal, appelée un horn* fut entièrement taillée par des glaciers sommitaux qui ont creusé les vallées du Falgoux, de l'Impradine et de Mandailles, idem pour le fameux Cervin en Suisse.
La vallée d'Ailefroide dans les Ecrins fut jadis creusée par un glacier géant dont ne subsiste aujourd'hui que des reliquats congelés représentés par le Glacier Noir et le Glacier Blanc.
A ces époques les glaciers des Alpes descendaient loin vers le sud en suivant l'actuel tracé de la Durance jusqu'aux portes de Gap.
Plus loin de chez nous, la morphologie des Highlands en Ecosse est due aussi à l'action de glaciers disparus.
Ces empreintes, qu'elles soient de la dernière période glaciaire ou qu'elles soient de quelques siècles, sont toujours identiques.
Le glacier rabote et use la roche en la polissant, ce qui donne des roches moutonnées si typiques gravées de stries et de cannelures. En creusant des cirques dans les vieilles chaînes de montagne il rajeunit le relief. En déposant des moraines, il reconstitue un relief de petites collines favorables à la création de lacs…
(*)Le glossaire du glaciologue
Horn : terme allemand, sommet en forme de pyramide bordé à sa base par des cirques glaciaires.
Inlandsis : glacier couvrant une surface continentale importante.
Bloc erratique : rocher isolé à la surface du sol dont la présence s’explique par un transport par des glaciers disparus. (source : dictionnaire de géologie, Dunod)
Quelques records
Le plus grand glacier des Alpes n'est pas français mais suisse. En effet, notre Mer de Glace (y compris le Glacier du Géant) ne fait que 11 km de long sur 500 m de large en aval. C'est le glacier d'Aletsch en Suisse qui détient le record alpin avec 33 km de longueur.
Les plus grands glaciers alpins du monde ne sont pas situés dans les Alpes, mais ils dans des systèmes montagneux d'une autre dimension. Les trois plus grands glaciers au monde sont, les deux premiers en Asie, le troisième en Amérique : le Fedtchenko (Pamir) avec 77 km de longueur, le Inyltschek (Tian-Chan) avec 80 km de longueur et enfin le Hubbard (Alaska) avec 120 km de longueur.
Les glaciers d'Alaska sont les plus grands au monde, ils définissent une sous-classe au sein de la famille des glaciers alpins. Ils ont pour caractéristiques d'aboutir souvent en mer et de développer d'immenses lobes à l'aval des chaînes montagneuses. Le lobe du glacier Malaspina fait plus de 60 km de large.
Glaciers, attention danger
Des risques d'éboulements. L'écoulement glaciaire déstabilise les masses de glace. Les chutes de séracs sont souvent à l'origine d'accidents mortels pour les alpinistes qui s’attaquent à des voies glaciaires lors de l'ascension du Mont-Blanc.
Les glaciologues redoutent un risque encore plus important que la chute de séracs, des sections complètes de glacier pourraient se détacher et s'écraser dans les vallées peuplées comme un gigantesque éboulement de terrain. C'est un risque majeur qui pourrait, à cause du réchauffement climatique, devenir réel dans les Alpes.
Ainsi, le glacier de l'Eiger, dans les Alpes bernoises, adhère à son substrat rocheux grâce au gel qui fait office de colle. Si les prévisions climatiques se vérifiaient, il pourrait, un jour, ne plus tenir sur son support et glisser subitement vers les stations de montagne en dessous.
Ce risque a déjà été vécu, en 1965, à Mattmark en Suisse : 2 millions de mètres cubes de glace s'effondrèrent sur le chantier d'un barrage tuant quatre-vingt-huit personnes.
Des risques d'inondations. Des poches d'eau sous pression contenues dans le glacier peuvent être libérées à la suite d'une modification des contraintes dans la masse de glace ; un réchauffement ou un séisme pourraient suffire. Le glacier alimente parfois des lacs de barrages naturels dont les niveaux varient considérablement au cours des saisons. Des débordements catastrophiques ont été observés dans les Alpes italiennes.
Des risques de coulées de boues. Des grands volumes d'eau relâchés subitement par un glacier provoquent des coulées de boues. C'est un risque pour tous les volcans de haute altitude (Mont Rainier aux USA) qui, lors de leurs éruptions (éruption du Névado del Ruiz en 1985), entraînent la fonte soudaine de leur calotte de glace. Les islandais connaissent bien ce risque, leurs volcans sous glaciaires sont à l'origine de crues de fonte de glace lors des éruptions volcaniques, ce sont les fameux “jökulhaups”.