LE GREBE HUPPE
(Podiceps cristatus)
Par une superbe matinée de fin mars, j’approche des rives d’un étang camarguais. A la pointe marécageuse, l’eau libre, sans la moindre ride, perd son mince voile brumeux sous l’action d’un soleil généreux. Brusquement, un couple de Canards colverts s’envole près d’un massif de phragmites, c’est le réveil du milieu. Un éclat de trompette sonore s’élève et une Foulque macroule courant à la surface, sur une courte distance, tente un envol lourdaud. Au sommet d’une haie voisine un Tarier pâtre, de retour de migration, gonfle son plastron orangé. A quelques mètres de la végétation aquatique de la berge, j’assiste à un étrange ballet : deux superbes grèbes huppés, en plumage nuptial se rencontrent, s’approchent, l’air menaçant, la tête baissée puis ils la relèvent et, tout en lançant un cri bref, se mettent à remuer le bec de droite à gauche. Les deux sujets sont face à face, les cous semblent dessiner un cœur !
L’un des oiseaux s’enfuit en courant sur l’eau. Il revient et offre à sa « compagne » un petit poisson qu’elle avale.
Sur le miroir calme de l’étang, le Grèbe huppé (Podiceps cristatus), famille des PODICIPEDIDES, progresse lentement, sa tête triangulaire surmonte un long cou. En plumage nuptial, de larges « oreilles » rousses et brun noir, véritable collerette, contrastent avec des joues blanches. Les sexes sont identiques. Merveilleux plongeur, il chasse le poisson avec habileté. Il peut rester sous l’eau près d’une minute et reparaître assez loin de son lieu d’immersion.
Le régime alimentaire se compose de poissons de petite taille appartenant aux espèces les plus nombreuses. Cependant, cette pêche ne nuit pas au cheptel piscicole. Des mollusques, des insectes aquatiques et même des algues complètent l’alimentation.
Le Grèbe huppé est une espèce de l’Ancien Monde. Il se reproduit dans presque toute l’Europe. La période d’installation et de construction des nids est très favorable à l’observation.
Le biotope de prédilection est un étang dont la superficie est d’un hectare au moins. L’espèce est très certainement en progression, elle profite de sa protection et accepte les nouveaux plans d’eau nouvellement creusés en particulier les anciennes gravières, près des autoroutes. Elle s’est adaptée au voisinage de l’homme et peut même fréquenter les plans d’eau urbains et périurbains.
Fin mars, début avril, on peut observer un sujet effectuant une sollicitation à l’accouplement, que l’on nomme posture d’invitation, position aplatie au ras de l’eau.
Le couple va construire un nid curieux et ingénieux. Il s’agit d’un radeau, plate-forme de roseaux qui flotte et qui s’ancre aux plantes voisines. Grossier, ce « bouchon » monte et descend au gré du niveau des eaux, la ponte est ainsi sauvée en cas de crues. Ce nid est rechargé de matériaux durant toute la couvaison.
D’avril à juin, ce sont 3 à 5 œufs blanchâtres qui sont déposés. Lorsque la couveuse quitte le nid pour se nourrir, elle recouvre la ponte avec des végétaux pour la masquer aux regards des prédateurs. Cette végétation, souvent pourrissante, tache les œufs blancs ce qui fait que la coloration plus ou moins « salie » indique le degré d’incubation. Près de l’éclosion ils deviennent réellement brun foncé.
L’incubation d’environ 23 à 28 jours est réalisée par les deux parents. Les jeunes, au plumage rayé, quittent le nid dès la naissance (ils sont nidifuges). Ils nagent et se perchent sur le dos de leurs parents, la tête émerge des plumes. Les juvéniles deviennent indépendants à l’âge de 2 mois.
Longtemps victime de l’homme qui le chassait pour son beau plumage mais aussi pour protéger les alevins des pisciculteurs, aujourd’hui, moins recherché, il redevient assez commun.
Nous pouvons observer deux autres espèces de grèbes. L’un, beaucoup plus petit, le Grèbe castagneux (Tachybaptus ruficollis) qui effectue de superbes plongeons et apprécie les étangs bordés de végétation. L’autre, moins fréquent, le
Grèbe à cou noir (Podiceps nigricollis) arbore en période estivale une touffe de fines plumes jaune doré derrière l’œil.
Tous les croquis sont de Michel Bouillot.
Michel Bouillot, Ornithologue.adhérent de Terre et Volcans.
Collaborateur du C.R.B.P.O. (Muséum National)
Membre Titulaire de l'Académie du Morvan