La petite ROUSSEROLLE EFFARVATTE (Acrocephalus scirpaceus)
parasitée par l’énorme COUCOU GRIS (Cuculus canorus).
La journée promet d’être exaltante pour le naturaliste passionné. Dès l’aube, en ce matin de juin, je suis assis sur une souche, en bordure de l’étang, près d’une phragmitaie relativement dense. Je m’extasie devant la page du livre de la Nature ouverte devant moi.
Vue d'une phragmitaie (Roseau commun à grandes tiges, à feuilles aiguës).
A la limite de cette vaste roselière, une Foulque macroule à la plaque frontale blanche couve assidûment sur un radeau flottant de rubanier rameux. Découvrant ma présence immobile, la couveuse quitte son énorme nid et s’éloigne en nageant. Près de la rive opposée, j’admire la parade nuptiale d’un couple de Grèbes huppés dont les corps face à face, se dressent en dessinant un cœur. Une flèche bleue scintille au ras de l’eau, le Martin-pêcheur se perche un court instant au sommet d’un piquet avant de poursuivre sa route. Tout à mon extase, je sursaute brusquement, un chant répétitif très caractéristique retentit et me confirme la présence de la ROUSSEROLLE EFFARVATTE (Acrocephalus scirpaceus). Les jumelles fouillent la roselière. Parmi les hampes agitées par un souffle imperceptible, je note le mouvement de cette Fauvette des roseaux.
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Au sein de la végétation, les Effarvattes volent ou sautent de tige en tige et, souvent, ce n’est qu’en voyant trembler les roseaux qu’on localise les oiseaux. L’espèce est bien représentée en France, toutefois elle semble plus ou moins rare dans le tiers méridional du pays à l’exception du littoral méditerranéen, du Roussillon et de la Camargue. L’espèce habite les phragmitaies et s’installe dans des massifs de très faibles superficies qui ont parfois, le long des fossés ou des canaux, un aspect presque linéaire. Le petit passeriforme insectivore a une modeste livrée. Le dessus est brun jaunâtre uniforme, brun chamois, le dessous blanc nuancé de roussâtre à la poitrine et aux flancs. Son poids avoisine les 15 g.
Cliché d'un adulte capturé en vue du baguage.
Espèce migratrice, l’installation des mâles s’étale du 10 au 24 avril alors que les femelles atteignent les sites de nidification du 24 avril au 12 mai.
Le chant est assez caractéristique, de portée médiocre il se distingue par un débit rapide où les séries de sons rauques alternent avec des sonorités liquides. L’espèce ne s’attaque pas aux vertébrés mais peut manger des limnées et autres mollusques de faible taille. Les adultes consomment éventuellement des lépidoptères.
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Le nid, chef d’œuvre d’architecture, est aménagé dans des phragmitaies plus ou moins denses. En général la coupe superbe est placée à 0,85 m à 1 m au-dessus du niveau de l’eau. Cette fragile nacelle est composée de matériaux fins : panicules de roseaux, de radicelles, de fils d’araignées et de cocons. Les parois incluent trois ou quatre tiges, la corbeille étant fixée au niveau des feuilles.
Croquis du nid.
L’ouvrage a une hauteur de 6 à 14 cm, la profondeur varie de 4,5 à 6 cm. Nous avons noté à l’orifice un rebord (bourrelet) intérieur qui retient les œufs quand le vent souffle violemment et courbe les phragmites communs. Le centre de gravité se trouve donc très bas.
Croquis de la coupe du nid.
La ponte de première couvée débute vers la 2ème quinzaine de mai. Elle se compose de 4 œufs très arrondis, le fond verdâtre pâle est fortement nuancé, marbré de vert olive et gris. L’incubation est assurée pendant 11 à 12 jours par le couple.
Vue du nid avec ponte.
Près du biotope, un sonore « cou-cou » retentit, le COUCOU GRIS (Cuculus canorus) est à la recherche d’un nid à parasiter . Il va choisir la corbeille profonde de la Rousserolle qui élèvera son énorme poussin toujours affamé.
Croquis Coucou adulte en vol.
Le parasite est énorme par rapport à la Rousserolle, son poids de 100 à 120 g, est 10 fois plus élevé que celui de son hôte.
Un adulte capturé en vue du baguage.
La femelle repère le moment où les propriétaires sont absents pour venir pondre dans le nid choisi, généralement l’après-midi. Elle subtilise chaque fois un œuf de l’hôte pour rétablir le compte. Curieusement la petite Effarvatte accepte cette « supercherie », et n’abandonne jamais son nid. L’œuf de Coucou éclôt au bout de 12 jours généralement, avant ceux de ses frères adoptifs. Le poussin, nu et aveugle, se débarrasse aussitôt de ces derniers. Une zone sensible dans le creux de son dos provoque des mouvements d’éjection, de tout corps dur, c’est à dire œufs ou jeunes poussins de l’hôte.
Croquis d'une éclosion du coucou.
Resté seul au fond du nid, le jeune Coucou est si affamé que les deux parents adoptifs ont fort à faire pour le satisfaire pendant 4 à 5 semaines, jusqu’à son indépendance. Le Coucou gris parasite toujours des passeriformes, la plupart Rousserolles mais aussi le Pipit, le Troglodyte, le Rouge-gorge et la Bergeronnette. La Rousserolle effarvatte migrateur transsaharien est fidèle à son lieu de naissance. Par le baguage et les contrôles nous pouvons affirmer cette fidélité (un record 6 ans après marquage !).
Croquis d'un adulte et sa nichée "sauvée".
A noter que l’on dénombre, dans le reste du monde, 76 autres espèces parasites.
Clichés et croquis n° 3 et 4 de Michel BOUILLOT
Croquis n°9 de Marie-France PORROT
Michel BOUILLOT
Ornithologue
Collaborateur du C.R.B.P.O (Museum National)
Membre Titulaire de l'Académie du Morvan
Adhérent de Terre et Volcans
Du même auteur : voir les articles sur les ailes de feu de la rift valée (30.3.2009) et les hirondelles rustiques (29.06.209)