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VOLCANOLOGIE ET ARCHEOLOGIE
ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL RAYNAL, ARCHEOLOGUE AU C.N.R.S.
Cet entretien avec J.P. Raynal – de l’Institut du Quaternaire de Bordeaux –
a été réalisé par Jacques SINTES lors d’un voyage sur l’Etna
Fontaines de lave, Etna - cratère Sud-Est - Photo J.S.
J.S
Jean-Paul Raynal, en tant que responsable de cette mission, pourriez-vous nous parler du C.N.R.S., de votre démarche et de votre attente de cette expérience sur les volcans ?
J.P.R.
Archéologue de formation je suis responsable d’un groupe de recherche – à Bordeaux – le G.D.R. 1122 – C.N.R.S. – Hommes et Volcans avant l’Histoire – Institut du Quaternaire.
Qu’est-ce qu’une structure opérationnelle du C.N.R.S. ? … Le groupe de recherche est une association d’individus ou de parties de laboratoire, c’est-à-dire une organisation transversale. A Clermont-Ferrand, il y a 2 personnes qui s’intéressent à ces problèmes, 3 à Bordeaux, 1 à Lille, 1 à Montpellier, 1 à Liège, 1 à Naples, 4 à Londres. Ces gens décident de s’associer, qu’ils soient des chercheurs, des universitaires ou des hors statuts. C’est une espèce de rencontre pour des individus de différentes origines.
J.S.
En tant qu’archéologue du C.N.R.S., pourquoi êtes-vous sur l’Etna ?
J.P.R.
Vous savez sans doute que les traces les plus anciennes de l’humanité ont été, jusqu’à présent, découvertes en milieu volcanique. De très nombreux gisements préhistoriques, très anciens ou très récents, sont connus dans des zones volcaniques d’Italie (la Campanie), le bassin du Rhin, le Massif Central … pour ne parler que de l’Europe.
Dans ces zones volcaniques, très souvent, les gisements archéologiques sont situés à une distance du volcan qui est au-delà de ce qui intéresse les volcanologues en tant que produits éruptifs purs et qui, en même temps, se trouvent dans une sorte de no man’s land auquel les archéologues ne comprennent pas grand chose, car ce sont des produits éruptifs dérivés, remaniés ou parfois des retombées directes qui ont été mal interprétées ou méconnues et on se trouve dans une zone qui est très difficile d’interprétation.
Alors, l’idée nous est venue d’essayer de regrouper – dans une structure transversale européenne regroupant volcanologues et archéologues – des gens qui s’intéressent à la reconstitution des milieux et végétaux. La croissance des arbres, la reconstitution de la végétation à partir de pollens fossiles qui sont conservés dans des sédiments.
Mais, aussi, des paléontogolistes, des zoologistes, des gens qui s’intéressent aux faunes fossiles ou aux animaux actuels dans les zones volcaniques et, bien sûr, les archéologues qui sont des gens qui travaillent sur les comportements humains dans des zones qui ont été affectées par des stress importants et répétitifs ou par des stress qui ne se sont pas reproduits.
C’est la raison pour laquelle nous sommes tous regroupés, avec Guy Kieffer par exemple, avec d’autres collègues de Clermont-Ferrand, des collègues allemands, anglais, belges et avec des gens qui obtiennent des datations absolues par diverses méthodes. Sur la base des exemples que l’on connaissait - soit dans le Massif Central, soit en Campanie – des sites qui ont entre 1 million d’années et 3 000 ans.
Il nous est apparu important d’aller voir fonctionner, en tous cas d’aller voir, un massif qui avait une histoire longue … l’Etna, que Guy avait particulièrement étudié et qui avait la particularité d’être un massif encore actif, dans lequel on pouvait faire ce que tout géologue ou tout archéologue veut faire : observer une situation actuelle et aller chercher, dans l’ancien, des situations analogues pour mieux les comprendre.
J.S.
Vous êtes là, en fait, pour essayer de tester un certain nombre d’hypothèses ?
J.P.R.En effet. Certaines hypothèses que l’on a sur la préservation de différents éléments, les pollens, l’impact géochimique sur les arbres, le recouvrement des sols par les cendres … comment tout cela est-il préservé ? La façon dont les cendres sont dispersées sous l’influence du phénomène éruptif, humain, relayé par les vents et s’en vont donc à de très grandes distances. C’est cet espace pluridisciplinaire qui nous emmène là.
J.S.
En fait, les problèmes que vous posez en tant qu’archéologue, ce sont des problèmes qui concernent les plus anciennes traces de l’humanité et l’interprétation de leurs vestiges.
Photo : Thierry Letourneur
J.P.R.
Plus on s’adresse à des périodes anciennes, plus il est difficile de décrypter les vestiges qu’ont laissés les hommes préhistoriques. On a, à tort, l’impression – surtout par les projections grand public – que les vestiges sont évidents à comprendre …mais vous devez facilement vous imaginer, à partir de ce que voyez dans votre environnement journalier, qu’à partir de la façon dont les choses s’effacent, que quelqu’un qui est passé il y a un million d’années, ne va pas laisser de traces très évidentes, en enlevant une couche de cendres et retrouver tout ce qui existait.
Notre démarche est aussi guidée par le fait que, dans le passé, il y a eu beaucoup de raccourcis d’interprétation qui ont été pris par nos prédécesseurs ; raccourcis qui étaient nécessaires pour poser des hypothèses et, maintenant, pour aller dans le détail de l’interprétation de tous ces instantanés de la vie de l’homme préhistorique ; on est obligé de faire beaucoup plus d’observations, et d’essayer de mieux comprendre les processus actuels pour mieux les transférer aux fossiles.
Photo : Thierry Letourneur.
J.S.
Tout cela commence à nous faire comprendre la complexité des démarches qui vous intéressent.
J.P.R.Oui. Vous savez que l’histoire de l’humanité s’est déroulée certes au contact des volcans, mais aussi dans un environnement climatique qui s’est beaucoup modifié ; vous avez tous entendu parler des glaciations, des inter-glaciaires, etc. qui ont affecté – de façon globale – la planète et qui ont été marquées par des variations des niveaux marins, par différents phénomènes géologiques.
Nous sommes donc obligés de travailler dans des domaines tout à fait différents. Pour balayer un peu ce spectre, j’ai choisi délibérément de vous montrer deux films tournés par Jean-Luc BOUVRET – cinéaste scientifique qui est parmi nous – sur la base d’expériences d’archéologie expérimentale, qui essaient de comprendre un comportement de chasseur-éleveur de la préhistoire de l’époque néolithique (6 à 7 000 ans avant nous) ; ces chasseurs vivaient près de lacs dans le Jura.
Photo : Thierry Letourneur.
Vous verrez une expérience de dépeçage d’un aurochs et la répartition de la viande, avec des outils de silex.
Ensuite, le 2ème document vous montrera comment l’on essaie de comprendre ce qui s’est passé dans des périodes très froides de la préhistoire et comment le froid, les phénomènes périglaciaires ont pu, au cours du temps, transformer les terrains que nous avaient laissés les hommes préhistoriques et effacer un certain nombre de choses : créer des pièges, pour nous, observateurs.
Photo : Thierry Letourneur.
L’expérience pour cette équipe était une expérience de systèmes volcaniques fossiles. On imaginait, à partir de ce que l’on voyait dans les stratigraphies ou sur les sites archéologiques anciens, des conséquences d’éruptions volcaniques sous toutes leurs formes : soit des retombées directes, soit des nuées pyroclastiques, soit des déferlantes, etc.
On observait donc des conséquences fossiles, mais on n’arrivait pas à imaginer exactement la vie d’un système volcanique actif. On se rendait compte de ce qu’était un volcan, au vu de la masse, des volumes, des dépôts émis, mais il fallait qu’on se rende compte de la façon dont cette présence volcanique pouvait être ressentie par des êtres vivant dans un rayon déterminé.
J.S.
Il est évident que travailler sur des hypothèses et des sites fossiles semble insuffisant …
J.P.R.
Exactement. Notre démarche sur l’Etna peut vous paraître anodine comme idée directrice. En réalité, il y a un grand débat dans la recherche historique : certains soutiennent que les éruptions volcaniques, lorsqu’elles se sont produites, n’ont affecté, en rien, le comportement des hommes préhistoriques. D’autres, auxquels j’appartiens, pensent que dans une certaine mesure, les stress qui ont été induits par les éruptions volcaniques, dans un environnement donné, ont pu avoir des conséquences importantes sur le comportement humain.
Bien sûr, la perception que l’on peut en avoir est d’abord individuelle, subjective et, par ailleurs, on ne peut l’approcher qu’après être venu sur un volcan actif. Cela est la première orientation : voir vivre un système volcanique et se rendre compte de ce que l’on ressent lorsque l’on est sur et autour d’un volcan actif.
Seconde orientation : essayer d’imaginer, à partir de prélèvements organisés, réfléchis, comment ces systèmes volcaniques avaient pu induire des stress sur les environnements végétaux (voir les comptes-rendus Dendrochronologie et Palynologie).
Troisième orientation : c’était d’essayer de voir, à partir d’enregistrements qui existaient autour des systèmes volcaniques, par les méthodes naturalistes (à l’exception de la géologie, de la datation numérique et physico-chimique) si, par l’étude des environnements végétaux en particulier, on pourrait reconstituer l’histoire d’un volcan.
Pouvoir reconstituer l’histoire des stress qui avaient eu un impact sur tous ces environnements végétaux, donc sur les environnements animaux et, en finale, sur la nourriture des hommes préhistoriques qui étaient là et en arriver aux schémas d’occupation d’un terroir volcanique.
Le dernier point, c’était d’avoir des images de volcans, des images actives, pour animer celles que nous avons dans les sites préhistoriques qui, elles, sont des images figées. Hier, Dominique VIVENT vous faisait part de sa surprise lorsqu’il avait visité un des secteurs en cours de fouille à Pompéï : il avait eu l’impression que le phénomène volcanique venait de se produire et qu’il arrivait quelques minutes après un événement pourtant vieux de 2 000 ans (éruption de 79) !!!
Photo : Pompei au pied du Vésuve- J. Sintès.
C’est ce transfert, entre le fossile et l’actif, qui nous a amenés à suivre Guy pour voir comment fonctionne le plus gros système volcanique européen qu’est l’Etna et sur lequel on peut analyser une multitude de phénomènes regroupés en un petit lieu.
J.S.
Etant tous ici des passionnés des volcans, nous sommes impressionnés mais également un peu fiers d’apprendre tout ce qu’ils apportent - l’Etna en particulier - à la recherche. Pouvez-vous nous confier, au moins en partie, le résultat de vos recherches ?
J.P.R.
En ce qui concerne l’impact psychologique d’un système volcanique impressionnant comme l’Etna, de l’avoir ENTENDU pendant plusieurs jours, il est évident que cet environnement ne peut pas ne pas avoir d’influence sur les êtres vivants qui sont autour. Par le bruit produit, par l’émission des gaz, il y a un effet attractif du volcan sur les individus, ça, c’est clair ! Vous devez bien le savoir puisque vous êtes tous des accros de volcans.
Mais encore fallait-il, pour nous, en dehors de l’intérêt que l’on peut porter à la chose, analyser plus en profondeur ce que cela pouvait nous évoquer.
Je sors de cette expérience persuadé que la dimension psychique, le rôle du volcan sur l’individu, par sa masse, par son bruit, ses projections etc. a dû jouer un rôle déterminant pour l’attraction ou la répulsion des populations dans une zone.
Photo : coulée sur l'Etna - J. Sintès.La question qui demeure pour nous, c’est de savoir si la population est venue occuper une zone pendant que le volcan était au repos, et que voulait dire « au repos » dans le passé. On ne sait pas si cela voulait dire comme l’Etna qui en ce moment crache peu ou, temporairement éteint comme le Vésuve actuellement.
Je suis prêt à dire maintenant, à tous ceux qui pensent que le volcan est un épiphénomène dans l’environnement que c’est faux, ou bien c’est qu’ils ne sont jamais allés sur un volcan ! Ce sera une réponse subjective bien sûr, mais qu’il faudra prendre en compte.
J.S.
Vous en arrivez donc tout de même, déjà, à des conclusions très intéressantes !
J.P.R.
En partie seulement. En ce qui concerne les environnements végétaux, il est trop tôt pour vous en parler. Cela sera le fruit du résultat des travaux avec mes deux autres collègues.
Ensuite, il y a plusieurs autres travaux qui pourraient être développés, en particulier, comment il était possible de percevoir les produits volcaniques au-delà de la limite à partir de laquelle les volcanologues considèrent qu’ils ne peuvent plus dire si c’est du volcanisme en place ou remanié.
Cela n’a pas encore été suffisamment abordé autour de l’Etna pour avoir des réponses définitives, mais c’est un des axes que l’on compte développer dans le futur.
J.S.
Nous ne vous remercierons jamais assez, vous et votre équipe, pour ce séjour sur l’Etna qui nous aura permis de découvrir des sciences qui ne nous étaient pas très connues mais, surtout, cela aura permis à la plupart d’entre nous d’assister « en direct » à vos travaux et recherches.
De plus, votre bonne humeur et votre enthousiasme a grandement participé à rendre ce voyage particulièrement instructif bien sûr, mais, aussi, à l’ambiance extraordinaire qui s’est instaurée (c’est le moins qu’on puisse dire !) dès les premiers jours. Que le C.N.R.S. en soit remercié.
J.P.R.
Nous vous devions bien cela puisque votre équipe a accepté spontanément que nous nous greffions – en catastrophe – sur votre programme. Depuis longtemps, dans le cadre de nos activités, nous voulions venir sur l’Etna.
C’est donc à moi de vous remercier pour votre gentillesse malgré la perturbation que nous vous avons créée, sur le plus de l’organisation.
Cela nous a permis de rencontrer des gens que nous ne connaissions pas.
Mais je voudrais vous faire part de la surprise que nous avons eue, nous – scientifiques habitués à être dans notre « tour d’ivoire » - de voir l’intérêt et l’attention que vous avez apportés à toutes nos conférences sur des sciences qui n’étaient pourtant pas obligatoirement de votre domaine, et pas toujours faciles à faire passer parmi des gens qui, comme vous, veniez de tous horizons.
Il est évident que, pour nous tous, cela aura été une expérience extraordinaire.