DENDROCHRONOLOGIE
(Etude des anneaux de croissance et du stress des arbres sur un volcan)
Entretien – avec Olivier GIRARCLOS - réalisé par Jacques SINTES
lors d’un voyage sur l’Etna
J.S. : Olivier, pouvez-vous nous parler de votre parcours, de la dendrochronologie et de son application à la volcanologie ?
O.G. : je m’appelle Olivier GIRARDCLOS. J’ai 25 ans. Je suis rattaché au Laboratoire de chrono-écologie, Unité Mixte de Recherches 9946 du C.N.R.S. – Département de DENDROCHRONOLOGIE à l’université de Besançon – Franche-Comté, où j’ai d’ailleurs effectué mes études. Orientation ECOLOGIE, c’est-à-dire comment étudier les relations qui existent entre les êtres vivants et le milieu physique dans lequel ils se trouvent.
Mon parcours est donc universitaire ; je prépare une thèse sur l’écologie. L’écologie n’existe pas par elle-même : elle s’étudie toujours dans un cadre donné et précis, en l’occurrence, pour moi ce sera la croissance d’un chêne en fonction du caractère physique du milieu : hydromorphie du sol, entre autres, c’est-à-dire la quantité d’eau qui se trouve dans un sol.
J.S. : l’eau et le sol semblent avoir effectivement une grande importance pour l’arbre.
O.G. : en effet . Pour faire du bois, l’arbre a besoin d’eau, pour transpirer ; c’est-à-dire qu’il transforme l’eau du sol en vapeur atmosphérique car, en réalité, la majorité des échanges de l’eau entre la terre et l’atmosphère passe par la végétation.
C’est au cours de cette transpiration qu’il produit les matières organiques nécessaires à sa constitution.
Pour nous, l’observation de la largeur des cernes d’un arbre nous donne le reflet de sa bonne croissance ou, au contraire, son « mal de vivre » s’il a subi un stress.
J.S. : que vous apporte votre intégration dans un groupe comme celui de Jean-Paul RAYNAL ? Quelle aide vous apporte le C.N.R.S. ?
O.G. : bien que je n’en fasse pas partie, le C.N.R.S. a une très grande importance, car cela permet effectivement de s’intégrer dans un groupe de recherche pour aller, soit en mission sur le terrain, soit de travailler en laboratoire d’accueil, ce qui nous permet de préparer notre thèse.
Carottage sur l'Etna - photo J. Sintès
J.S. : maintenant que nous avons mieux compris la vie et la croissance des arbres, pouvez-vous nous expliquer ce que les volcans vont vous apporter dans vos recherches ?
O.G. : les volcans sont très récents dans mon parcours. La dendrochronologie est essentiellement utilisée par les archéologues – dont fait partie Jean-Paul RAYNAL – pour la datation des bois situés dans les sites archéologiques (ce qui vient d’être fait tout récemment dans la Chaîne des Puys et les Champs Phlégréens).
Je ne pense pas que la Chaîne des Puys ait livré suffisamment de bois pour faire des datations dendrochronologiques.
L’idée est venue de regarder quel pouvait être l’effet, à longue distance, d’émissions volcaniques sur les écosystèmes, sur les végétaux et, plus particulièrement, sur la largeur des cernes qu’ils produisent.
Cette problématique est très récente ; ma visite sur l’Etna et mes premières impressions sont liées directement à la construction de cette problématique. Je voulais voir un volcan, comment il fonctionne et quelle action il peut avoir sur les arbres.
La première constatation simple qui me soit apparue après quelques jour sur l’Etna, c’est qu’il y a des activités très diverses sur un volcan ; il y en a qui sont continues entres les périodes d’éruption.
Cette activité produit un grand panache et la question est de savoir si, chimiquement, les émissions de ce panache - essentiellement soufrées, fluorées, chlorées, etc. - pouvaient se retrouver sur les plantes par une intégration de ces gaz qu’elle reçoivent de façon journalière.
Moi, je ne fais que la partie biologique et écologique de cette étude en prenant des échantillons sous panache et, dans une zone opposée qui reçoit surtout les orages, la neige.
Ma première expérience sera de comparer les caractéristiques chimiques de ces deux prélèvements.
Ma deuxième découverte sur l’Etna, c’est son activité latérale car, cette fois-ci, elle n’est pas moyenne, elle n’a pas un axe, elle n’est pas aléatoire non plus.
Il y a une forte répartition des cônes en périphérie du volcan et, dans la partie nord par exemple, j’ai trouvé des arbres que nous appelons des arbres à chronologie assez longue, c’est-à-dire qu’ils contiennent un nombre de cernes plutôt conséquent et qui vont dépasser, je pense, le nombre de 100 ou 120.
Ce qui veut dire qu’ils ont survécu aux explosions des cônes que nous avons visités et qui datent du 19ème siècle.
Ces explosions émettent probablement des gaz et des nuages assez vastes qui, cette fois, peuvent avoir des effet physiologiques et non pas uniquement un enregistrement de la plante et conserver cet élément en traces sans modifier son métabolisme sans lui créer de dérangement.
Il faudrait savoir si, au moment de l’explosion du cône, il y a un effet physiologique, c’est-à-dire que, soit l’arbre est stressé et il fait un cerne plus étroit que la normale, soit il est avantagé par l’émission du volcan et fait un cerne plus large.
Cette manifestation des arbres signerait, indiquerait qu’il y a une corrélation avec ces activités volcaniques.
J.S. : il y a deux jours nous avons eu la chance d’assister au carottage d’un pin Laricio. Pourquoi avoir choisi, en particulier cet arbre ; quelle est sa particularité ?
Carotte d'un pin Laricio - photo J. Sintes
O.G. : les pins Laricio sont des sous-espèces du pin Noir et sont très intéressants à différents titres.
Le pin de Sicile envoie des pollens très loin sur l’Apennin ou sur la Corse et, de proche en proche, il y a un mélange du matériel génétique de tous ces pins.
Ce mélange est tout de même limité, il y a donc une petite spécialisation des pins sur l’Etna.
Ici, c’est le pin Laricio de Calabre. Il a également l’avantage d’avoir un bois plus tendre qu’un hêtre par exemple.
J.S. : pouvez-vous nous donner l’âge de l’arbre sur lequel vous avez fait un prélèvement ?
O.G. : non. Il faut savoir que lorsqu’on regarde un arbre de « l’extérieur », on ne peut pas répondre à cette question car c’est surtout le phénomène de compétition qui fait qu’un arbre est plus élevé qu’un autre.
Un arbre isolé, qui ne subit pas de concurrence, peut pousser deux ou trois fois plus vite que son voisin.
Lorsqu’ils sont confrontés à cette compétition, ce sont qui ont les génomes qui se seront le mieux adapté au milieu dans lequel ils vivent qui atteindront les plus grandes tailles : ils profitent mieux de la lumière (photosynthèse).
Ce sont ceux-là qui participent le plus à la reproduction et le repeuplement va évoluer en fonction de cette dynamique.
Cette croissance est donc indépendante de la gestion du sylviculteur.
J.S. : pouvez-vous nous décrire l’outil que vous utilisez ?
O.G. : je me sers d’une carotteuse ou tarière : c’est un tube creux avec une extrémité conique qui se termine par un pas de vis.
Le carottage s’effectue toujours parallèlement à la pente car la densité interne de l’arbre n’est pas la même du côté pente par rapport à l’opposé.
Le cerne se déforme et le bois de cœur se déporte vers la pente, afin d’empêcher l’arbre de basculer.
J.S. : le carottage ne présente-t-il pas un danger pour l’arbre : blessure, attaque parasitaire ?
O.G. : les résineux sont très bien adaptés et rebouchent leurs blessures par un apport de résine, alors que les feuillus nécessitent un rebouchage pour éviter la colonisation des parasites.
Un minimum de 13 carottages doit être effectué sur chaque site. L’analyse des cernes va nous permettre :
1/ - de déterminer l’âge de l’arbre ; l’alternance de leurs couleurs correspond à une année (chaque cerne est formé d’une bande jaune et d’une bande brune).
Le jaune est réalisé pendant le printemps (bois initial). La comptabilisation est facile au départ puis, plus l’arbre est vieux, plus il fait des cernes petits, puisque sa croissance est de plus en plus faible ;
2/ - les effets climatiques ou les effets physiologiques qui l’ont stressé et donc ralenti sa croissance.
Quel peut être le signe d’un stress pour l’arbre, au vu de la carotte ?
Le stress (sécheresse, gel, éruption, etc.) est indiqué par le rapprochement des cernes.
Il est intéressant de constater que l’arbre en bordure de coulées recouvre sa blessure, continue à vivre et donc n’en a pas été affecté. Ce qui n’est pas le cas lors d’une émission de gaz : l’arbre peut être stressé.
Il est évident que si l’éruption se passe en décembre, le cerne de l’arbre n’enregistrera pas de stress.
J.S. : en conclusion, intérêt de ce voyage sur l’Etna ?
O.G. : pour moi, comme je l’ai déjà dit, c’est la première fois que j’ai la chance de venir étudier sur place les phénomènes volcanologiques et leurs incidences sur la végétation.
Il est évident que les résultats de nos analyses en laboratoire vont être riches d’enseignements sur les rapports HOMMES – VOLCANS – VEGETATION, vus par la dendrochronologie !
Je suis donc très heureux d’avoir été missionné pour cette expédition et je remercie toute l’équipe pour l’aide et l’accueil qu’elle m’a réservé.
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