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titre:Quand un Scientifique répond à des étudiants
auteur:J.M. Bardintzeff
date:26-03-2005 
lien:http://www.futura-sciences.com/comprendre/d/dossier441-1.php?word=avenir 


Bonjour M.Bardintzeff, nous aimerions, que vous répondiez à ces quelques questions dans le cadre de notre TPE sur les volcans. Nous vous remercions infiniment d'avance.

Réponse au questionnaire :
Bonjour Séverine et Solenne,
Ci-dessous quelques réponses ; bonne chance pour vos projets et amitiés volcanologiques.

Questionnaire:

1°) Le 2 novembre 2002, vous vous trouviez sur l'Etna en éruption, était-ce impressionnant?


Eruption Etna novembre 2002. Photo J.M.Bardintzeff

- Oui, assez (je vous joins en fin de message un extrait de mon livre «Connaître et découvrir les volcans», Ed Minerva)Voir en fin de questionnaire

2°) L'Etna est-il un volcan effusif ou explosif?
- Justement il est mixte (comme le Vésuve) ce qui complique le travail des volcanologues en matière de prévision.


J.M. Bardintzeff récolte une scorie volcanique.

3°) Parle-t-on d'éruption pour un volcan effusif comme pour un volcan explosif?
- Oui.

4°) Le magma reste-t-il toujours à 1200°C, même lors d'une explosion ?
- Non, la température est plus faible, de l’ordre de 700-800 degrés.

5°) Avant l'éruption, à combien est la pression ? Et après ?
- Avant, de l‘ordre de 50-500 bars ; après, si «tout va bien», c’est la pression atmosphérique.

6°) Quels sont les facteurs qui différencient un volcan effusif d'un volcan explosif ?
- Plutôt que de volcan, il convient de parler d’éruption puisque, un même volcan peut changer de type d’éruption.
Facteurs : viscosité du magma, température, teneur en cristaux, teneur en gaz.

7°) La pression joue-t-elle un rôle dans cette différenciation ?
- Et la température ?

8°) Quel est le facteur le plus important dans cette différenciation?
- La température joue un role majeur (plus que la pression) car elle conditionne la cristallisation des phases minérales.
Extrait du livre écrit par J.M. Bardintzeff :
Connaître et découvrir les volcans.
Editions Minerva


Etna, Sicile, novembre 2002

L'Enta, très actif depuis plusieurs années, fait une nouvelle crise fin octobre 2002. Il s'agit du plus gros volcan d'Europe, à égalité avec le Cantal : il mesure près de 50 kilomètres du nord au sud et près de 40 kilomètres d'ouest en est. Âgé de 500000 ans, il culmine à plus de 3300 mètres. Sa dernière éruption remontait à juillet - août 2001.

Une éruption double
Le 27 octobre, une fracture s'ouvre sur le flanc nord à l'altitude 2400 mètres et déverse des flots de lave. La coulée principale parcourt 5 kilomètres jusqu'à l'altitude 1100 mètres, en détruisant quelques constructions, une station de ski, et brûlant une grande surface de pinèdes.
Son front, qui mesure alors 400 mètres de large et 30 mètres de haut, avance tel un rouleau compresseur. Des interventions avec des bulldozers essayent de la freiner et des Canadairs arrosent sans relâche la forêt qui flambe.
En même temps, sur le versant sud, une fracture s'ouvre vers l'altitude 2750 mètres, qui libère des quantités de cendres et de bombes ainsi qu'une petite coulée éphémère.
Cette éruption est accompagnée de plusieurs séismes locaux car l'Etna est situé sur une faille majeure, orientée du nord-est vers le sud-ouest. Certains séismes atteignent la magnitude 3,8 le 28 octobre et 4,4 (soit 6 sur l'échelle de Mercalli) le 29 octobre. à Santa Venerina, un millier de sinistrés doivent être relogés dans des tentes.

Une pluie de cendres

Je pars le 1er novembre. Il faut atterrir à Palerme car l'aéroport de Catane, au pied de l'Etna à 30 kilomètres de distance, saupoudré de cendres, est fermé: il y est tombé, en 3 jours, 2,5 kilogrammes de cendres par mètres carrés.
Le lendemain, en route pour le volcan, nous apercevons sa silhouette et de lourds panaches cendreux qui s'échappent de son sommet. A Nicolosi, la petite ville située à 15 kilomètres au sud, les habitants, qui vivent des moments étonnants, font face avec philosophie: ils sont habitués! Il est tombé 5 centimètres de cendres, ce qui constitue une gêne importante pour les populations.


J.M. Bardintzeff récolte de la cendre de l'éruption à Nicolosi.

ll faut balayer chaque jour et évacuer la cendre, protéger la nourriture dans les épiceries, porter souvent des masques à poussières. Les routes très glissantes rendent la circulation dangereuse, surtout sous la pluie.
Nous demandons et obtenons les premières autorisations pour approcher du volcan. Plus haut, les policiers ont coupé la route d'accès; seuls les scientifiques et les journalistes peuvent passer.
Nous dressons nos tentes vers Sapienza à 2000 mètres d'altitude et à 5 kilomètres du sommet. Les cendres, emportées par les vents, retombent en abondance: 40 kilogrammes par mètre carré. à midi, nous commençons l'ascension en direction de la fracture sud.
Un nouveau petit cône est en train de s'édifier. Il libère de sombres colonnes de cendres, qui s'élèvent lourdement, à plusieurs centaines de mètres de hauteur. Des bombes retombent tout autour. L'éruption apparaît de type vulcanien. Un des principaux cratères sommitaux, la Bocca Nuova, émet elle aussi des cendres et de la vapeur d'eau.
Le crépuscule arrive. Il règne une douceur exceptionnelle pour cette période de Toussaint. Le spectacle devient féerique. La colonne éruptive prend des teintes incandescentes.


Eruption Etna novembre 2002. Photo J.M. Bardintzeff

Elle atteint maintenant 1 kilomètre de hauteur. Parfois, il s'agit d'une véritable fontaine de lave à débit quasi continu. Des bombes fusent de tous côtés puis retombent et ruissellent, rougeoyantes, sur les pentes du cône.
La descente, de nuit, ne pose pas de problème. Mais arrivé au camp de base, nous sommes littéralement arrosés de cendre, qui tombe comme de la neige. Elle pénètre dans les yeux, le nez, le cou. Il faut se cloîtrer dans les tentes. On entend les grondements sourds du volcan.
Au petit jour, nous découvrons toute la zone recouverte d'un manteau cendreux, désolée et semblant abandonnée par les êtres vivants. Seul un renard vient nous demander une petite quote-part de notre déjeuner. Un chien aussi, qui s'est pris d'amitié pour nous, et nous accompagnera à deux reprises au sommet.
Le vent a tourné et nous épargne des chutes de cendres mais le ciel est maussade, le volcan couvert. Nous tentons une nouvelle ascension et sommes récompensés car quelques éclaircies illuminent merveilleusement le panache éruptif. Ses volutes cendreuses mordorées gonflent en se boursouflant. L'activité a encore augmenté.
Des bombes fusent en sifflant au-dessus de nos têtes. à trois reprises il faut se replier. Le sol est brûlant, l'air glacial.
Sur la côte, à Acicastello, nous observons l'imposant panache, qui se colore en pourpre au soleil couchant. Il se dirige plein l'est: des particules vont tomber jusqu'en Grèce et en Lybie!


Eruption Etna novembre 2002. Photo J.M. Bardintzeff.

Nous quittons la Sicile le 5 novembre. La coulée du nord s'est arrêtée ce même jour, à 4 kilomètres en amont de la bourgade de Linguaglossa. Mais une activité soutenue se maintient au sud.
Le 13 novembre, une coulée de lave s'échappe du pied du cône.
Le 24, elle atteint le refuge Sapienza mais elle l'épargnera de justesse.
Le 16 décembre, la lave entre en contact avec une citerne d'eau, à l'origine d'une violente explosion blessant 32 personnes.
Le 17, elle atteint le bar "L'Ezagonal" qui s'embrase immédiatement.
L'éruption se termine le 28 Janvier 2003 à 22h40, quand la fréquence et l'intensité des micro-séismes (appelés tremors) redeviennent normales.

C'est la première fois depuis 1879, que l'on observe une éruption double, qui souligne l'existence des rifts actifs nord et sud de l'Etna.
Les dynamismes éruptifs diffèrent complètement: uniquement effusif au nord, essentiellement explosif au sud.
Les produits émis n'ont pas la même composition (on parle de «pétrographie»).
Il s'agit de trachybasaltes, des roches un peu moins sombres que les basaltes typiques. Celles émises au nord contiennent beaucoup de cristaux (plagioclase blanc, olivine verte, pyroxène et magnétite noirs); on dit qu'elles sont «porphyriques».
Celles du sud n'en contiennent presque pas (roches «aphyriques») mais possèdent un minéral noir bien particulier, l'amphibole.
Elles renferment aussi des enclaves de roches profondes, qui nous intéressent pour reconstituer l'histoire géologique du magma.

Une crise tellurique

Pendant toute cette fin d'année, l'Italie a subi les «colères de la Terre».
Le 31 octobre, un séisme majeur de magnitude 5,4, dont l'épicentre se situe à Campobasso, à 226km au sud-est de Rome tue 28 personnes, essentiellement des enfants dans une école qui s'effondre.
Contrairement à ce que certains pouvaient penser, ce séisme, lié à l'activité du front des Apennins et au mouvement de la plaque italo-adriatique, n'a rien à voir avec l'Etna si ce n'est une conjonction temporelle. Un autre séisme est ressenti dans la région de Ravenne.
Le 4 novembre, à 2 kilomètres à l'est au large de l'île de Panarea dans l'archipel des îles éoliennes, près des îlots de Lisca Bianca et de Basiluzzo, la mer se met à libérer des bulles et à changer de couleur, témoin d'un dégazage.
Une odeur de soufre se répand et des poissons sont empoisonnés. Ce phénomène, bien que déjà observé dans le passé, augmente encore l'inquiétude générale des Italiens. La crise tellurique est l'objet de toutes les conversations et occupe les premières pages des journaux.

Fin novembre, l'«île» de Ferdinandea fait à nouveau parler d'elle par une activité sismique supérieure à la normale.
Il s'agit en fait d'un haut-fond d'origine volcanique, situé à 30 kilomètres au sud de la Sicile, vers la Tunisie.
Il émerge épisodiquement, quatre fois en 2000 ans.
La dernière fois, c'était en 1831. L'Italie et l'Angleterre (qui l'a baptisée «île Graham») étaient déjà en train de se disputer l'île quand elle s'enfonça à nouveau dans les flots au bout de six mois. Aujourd'hui, le sommet est seulement à 8 (voire 6?) mètres de profondeur.

Le 28 décembre, le Stromboli, dans les îles éoliennes au nord de la Sicile, entre violemment en éruption.


Des pluies de cendres retombent sur l'ensemble de l'île et des coulées de lave, émises à mi-hauteur du flanc nord-ouest, descendent la Sciara del Fuoco jusqu'à la mer.
Le 30 décembre, un séisme sous-marin et un effondrement partiel de l'édifice volcanique dans la mer engendrent un raz-de-marée, qui affecte l'île de Stromboli mais aussi les autres îles éoliennes et la côte nord de la Sicile.
On déplore six blessés.
Des maisons se sont écroulées à Ginostra, au sud-ouest du volcan. L'île, privée d'électricité, est évacuée. Les habitants pourront revenir au mois de janvier mais cette importante éruption lavique latérale ne se terminera que le 22 juillet 2003.

Jacques-Marie Bardintzeff
Professeur Laboratoire de Pétrographie-Volcanologie, Bât. 504
Université Paris-Sud
F-91405 Orsay, France


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